Méditation sur les cinq attitudes au regard de la mort
de Lama Shérab Namdreul
Retranscription de Marie Anne
extrait d’un enseignement du cycle “mort et non-mort”
Il est louable de vouloir accompagner les mourants, mais sommes-nous en mesure de s’accompagner soi-même ?
Comme préparation à sa propre mort, Lama Shérab Namdreul propose cinq attitudes à méditer.
« La mort est une invitation à la découverte de soi-même libre de toute saisie.
En toute évidence, il n’y a pas lieu de nier cet instant.
En toute justesse, il n’y a pas lieu de s’insurger contre le naturel.
En toute quiétude, il n’y a pas lieu de négocier l’équitable.
En toute lucidité, il n’y a pas lieu de désespérer de la lumière.
En toute franchise, il n’y a pas lieu de se résigner ». (cycle mort et non-mort, Lama Shérab)
VUE
« La mort est une invitation à la découverte de soi-même libre de toute saisie.
On médite tout d’abord cette vue de l’esprit à l’égard de la mort. C’est un moment crucial de notre vie pour notre être car il est possible de se voir soi-même libre de toute saisie, de toute identification, de tout conditionnement. C’est un moment privilgié pour se voir à nu. On essaie d’envisager la mort comme ce cadeau, cette possibilité. Le bardo qu’on appelle le processus de la mort est un enchaînement de résorptions des constituants de notre corps et de notre conscience (terre, eau, air, feu, espace, souffle et conscience). Tout ce qui constituait notre sentiment d’être va se résorber. Cette résorption nous coupe, comme on couperait l’herbe sous les pieds, toutes possibilités de réconforter notre saisie égocentrique. Par la force des choses, il ne nous sera plus possible de maintenir nos illusions sur le corps et notre conscience. Le processus d’approche de la mort va nous priver de nos béquilles égocentriques. Il ne sera plus possible de se complaire dans des croyances ou des arrogances. Pour les êtres ordinaires, cela donne un sentiment d’annihilation de soi. Par contre, pour un méditant aspirant à l’Éveil et à la lucidité, ce bardo est l’occasion justement de se voir à nu, sans saisie, de voir la plénitude de notre être sans les saisies illusoires.
MÉDITATION
Je vous propose donc de vous recueillir sur cette vue, puis de vous en pénétrer afin qu’elle déclenche une prise de conscience. Cette vue qui envisage la mort comme une invitation à une découverte de soi-même stimule en notre conscience, un préalable à l’Éveil en modifiant notre perception de la mort et donc notre expérience. Notre aspiration s’en trouve enrichit de lucidité.
VUE
En toute évidence, il n’y a pas lieu de nier cet instant.
Le temps s’écoule, le manifeste est transitoire. Maintenant, on va inexorablement à la mort. Notre vie est comme une flèche qui a été décochée et ne peut revenir en arrière. Elle est décochée et suit le cours transitoire des cinq éléments en l’essence vide des cinq agrégats pour atteindre une cible qu’on appelle la mort.
Quand commencera le processus de la mort, il ne faut pas le nier. On s’établit dans dans une vue et une conscience d’évidence. En toute évidence, c’est déclenché un processus irrévocable, irréversible, dont l’issue est la séparation de l’esprit d’avec corps : quitter ce monde, ce domaine d’extension, ces perceptions etc. en toute évidence. Cette conscience de “toute évidence” est la plus appropriée pour reconnaître la claire lumière. Nier cet instant, ce serait refuser d’être témoin de l’instant le plus crucial de notre vie. Cette négation consiste à créer un espoir en contre partie d’une crainte. On peut nier cet instant en se persuadant qu’on va être sauvé au dernier moment par la police, par l’hôpital, par les médecins, sauvé par quelque chose d’extérieur. On espère être sauvé par les Pères Noëls qu’on a créé et maintenu durant toute notre vie. On va tenter de se persuader d’un évènement autre que cet instant. Une grande partie de notre existence est faite de persuasion, de complaisance. On ne veut pas voir la réalité telle quelle. On préfère mystifier.
Cette attitude de “toute évidence” place notre conscience dans une vue associée à la sagesse de Vairocana : la plénitude claire, luminosité vide. Ici même, rester en toute évidence de l’instant qui s’écoule. Mon être n'est qu'un devenir perpétuel, un flot incessant sans naissance ni mort. Prendre conscience de cela est la véritable libération qui traverse toutes les vies et morts, vie et mort n’étant que des désignations conclusives. Restez en toute évidence pour épouser ce continuum transitoire de notre être.
VUE
En toute justesse, il n’y a pas lieu de s’insurger contre le naturel.
S’insurger contre le naturel… C’est l’énorme bêtise de la colère, du rejet, de la répulsion (cf. Répulsion, peur, acuité) à l’égard de la mort. La bêtise de se débattre contre des fantômes, contre des fantasmes, des illusions. Une colère qui défonce des portes ouvertes. Il n’y a pas d’ennemi, il n’y a pas de confusion, il n’y a pas de confusion ennemie. C’est simplement une question de présence claire, de toute justesse, de précision de l’instant. Pour rester en toute justesse, il est nécessaire de taire toute interprétation. Ne rien considérer à son encontre comme ennemi, désagrément ou contrariant. N’étant pas solidifier, ennemi, désagrément ou contrariant n’auront aucun pouvoir. Ne leur donnant pas de pouvoir, ils n’auront plus d’incidence sur nous. Dans une attitude naturellement libre d’interprétation, la mort se révèle vide de la substance qu’on lui prête.
Cette attitude de “toute justesse” place notre conscience dans une vue associée la sagesse d’Akshobya ; la sagesse de clarté juste et précise comme un miroir. Face au processus de la mort, on abandonne tout ressentiment et toute rancœur et l’on reste en toute justesse, un témoin inaffecté du processus naturel en train de s’opérer.
VUE
En toute quiétude, il n’y a pas lieu de négocier l’équitable.
L’équitable ne se négocie pas. C’est équitable. Il faut rester en toute quiétude. Il n’y a pas lieu de se surévaluer ou de sous-évaluer, ni d’avoir des conceptions de tort ou raison, d’erreur ou vérité. Dépasser toute idée de faute, de culpabilité ou à l’inverse de bien et d’accumulation de mérites. On ne peut pas négocier ses bonnes actions, son bon karma. Se reconforter des bonnes prières faites, d’avoir été le fayot de son lama ou une bonne grenouille de kapala (bénitier) ne servira à rien sinon qu’augmenter notre inquiétude car cela ne nous sauvera pas. Prendre l’attitude inverse comme affecter le pénitent ou le grand pêcheur et se lamenter sur son sort, n’est pas mieux. Qu’on ait des choses à se reprocher doit être assumer par soi-même. Nous sommes seul en même notre conscience. En cet instant, il n’y a personne qui soit là pour prendre le rôle de juge, d'avocat ou de témoin. Nous serons à la mesure de nos jugements avec notre propre code pénal comme nous avons appliqué aux autres durant cette vie. Restons en toute quiétude, l’équitable s’exaucera.
« Moribond, il est trop tard pour se plaindre. Remords et regrets rajoutent à l’inquiétude. Dénégation ou bravade ne changent rien. Colère ou chantage n’ajournent rien. Prière ou abandon ne commandent rien ». (cycle mort et non-mort, Lama Shérab)
Cette attitude de “toute quiétude” place notre conscience dans une vue associée à la sagesse de Ratnasambhava ; l’épanouissement d’un trésor d’équitabilité. Un épanouissement de toutes les qualités naturelles de l’esprit qui n’ont pas lieu d’être négociées, tarifées, marchandées. Elles ne nous sont pas concéder par une instance supérieure sous prétexte de quelques mérites. Elles n’appartiennent qu’à nous-même et on s’appartient qu’à soi-même. On n’a aucun compte à rendre en cette équitabilité. Nous sommes dépositaires des qualités naturelles de notre être en toute quiétude. La mort décape les préoccupations de l’orgueil. Le joyau naturel de notre être apparaîtra comme n’ayant jamais été souillé. Développer une totale confiance en notre nature immaculée et innocente est la cause de cette quiétude. Le joyau (sct. Ratna) caché de notre être émergera (sct. Sambhava) en notre quiétude.
VUE
En toute lucidité, il n’y a pas lieu de désespérer de la lumière.
Vient la luminosité naturelle de l’esprit, la sagesse du discernement. Il n’y a pas d’attente à avoir. Il n’y a rien à espérer ni à désespérer. On reste dans le discernement au-delà de l’espoir-crainte*. On reste en toute lucidité de ce qui s’élève, sans discrimination. C’est la sagesse du discernement. Cette luminosité est infinie, sans limite et non associée. Elle n’est pas le fait de quelque chose. Elle est la nature même de la connaissance. Il n’y a pas à espérer ni à désespérer de cette luminosité, elle procède de la nature même qu’est la connaissance, c'est-à-dire sagesse discernante. En toute lucidité, reconnaître cette luminosité comme procédant de notre propre esprit. Elle ne vient pas de l’extérieur. Elle n’est pas la conséquence d’un objet. Elle ne vient pas de quelque chose ! de quelqu’un ! S’en rester à être lucide, sans se préoccuper de quoi être lucide ou qui l’est ou pourquoi cela serait ? En se libérant ainsi des trois cercles de la cognition cogitale en toute lucidité, apparaît une cognition suprême, la prajna paramita.
Cette attitude de “toute lucidité” place notre conscience dans une vue associée à la sagesse d’Amitabha : lumière infinie, une lucidité de chaque instant, c'est-à-dire qu’elle ne se limite pas à quelques instants ou à une catégorie de phénomènes. Elle embrasse tous les phénomènes, du samsara comme du nirvana, qu’il y ait vie ou qu’il y ait mort. Amitabha illustre l’auto-illuminance de cette connaissance.
VUE
En toute franchise, il n’y a pas lieu de se résigner ».
Se résigner, se décourager, démissionner, se démobiliser, fuir, conclure “à quoi bon” ; autant de conduite en mode échec, que ce soit dans la vie ou dans la méditation, à chaque moment de difficulté ou de contrariété, quand nos attentes n’ont pas été satisfaites ou quand semble être atteint notre niveau d’incompétence. Se résigner donne substance aux obstacles**. Il n’y a pas quelque chose qui soit des obstacles à notre encontre. Les obstacles sont le reflet de nos paresses et nos apitoiements. Nous décrétons les obstacles à l’extérieur et trouvons ainsi prétexte au désengagement et à l’abandon. Se donner des prétextes est vraiment le véritable obstacle de l’esprit. Dans la voie du Dharma, cela consiste à voir les fautes à l’extérieur puis à tout suspecter pour finir par abandonner nos engagements alors que ceux-là même ont pour fonction de nous protèger des malices de l’égocentrisme. Les histoires d’Asanga ou de Birouapa montrent ces moments critiques. Cependant la force d’une authentique aspiration les amène à vivre la toute franchise d’un instant et de réaliser l’expérience de la nature de l’esprit.
On ne peut pas contrôler ou manipuler les circonstances et tout particulièrement la mort, parce qu’il n’y a pas quelque chose comme étant la mort. Elle n’est pas extérieure et une résignation face à la mort ne fait que lui donner un pouvoir parce qu’on refuse de se consilier la vacuité de la mort. Cet instant qu’on appelle mort est franc, net, cru. C’est un instant dénué de séduction comme on avait l’habitude d’en trouver dans la vie qui est en train de nous échapper. Ne faites pas l’affront de douter de cette franchise. Ne passez pas dans l’espoir du contrôle, la résignation vous emportera dans le cercle vicieux de l’adversité et de la rancœur.
Cette attitude de “toute franchise” place notre conscience dans une vue associée à la sagesse d’Amoghasiddhi : sagesse franchisée de tout obstacle parce que son activité s’est consiliée la vacuité. Le succès (sct. Siddhi) de cette activité vient qu’elle ne fait pas l’affront de douter de la franchise de l’instant.
MÉDITATION
Choisissez l’attitude qui vous interpelle le plus ou qui vous contrarie, vous confronte. Trouvez en vous ce qu’évoque cette attitude. Comprenez-en le sens puis captez-le dans le calme mental et enfin épanouissez-le dans la prise de conscience qui s’établit.
On peut méditer ces attitudes pour chaque instant de la vie. On n’a pas besoin d’attendre la mort physique. Par ces attitudes, on peut apprendre à mourir à soi-même Mourir à soi-même, ça veut dire l’extinction de la soif (soif d’existence, soif de construction égocentrique) et libération des distorsions émotionnelles.
Enseignement à Yogi Ling (2013)
Lama Shérab Namdreul
* Lama Shérab définit l'espoir-crainte comme un seul et même facteur mental qui établit "un espoir tributaire d'une crainte qu'on se refuse de voir". L'espoir en tant que tel et la crainte en tant que tel ont tout deux leur sens et leur vertu quand ils sont discernable à l'esprit. L'espoir-crainte relève d'une confusion.
** Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que l’on n’ose pas, mais parce que l’on n’ose pas que les choses sont difficiles. Sénèque